Trouver sa passion, quel attrape-c**illon !

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Qu’est-ce que Julien Doré et Mathieu Saikaly ont en commun ?

Vous ne voyez pas, vraiment ?

“Mathieu qui ?”, vous vous demandez peut-être.

Mathieu, comme Julien, est passé par l’émission de télé-crochet “Nouvelle Star”. Certes, quelques années plus tard, l’un a vendu plus d’un million d’albums et remporté une victoire de la musique (source), alors l’autre a sombré dans l’oubli (à moins qu’il n’en soit jamais vraiment sorti).

Pourtant, Mathieu partage un point commun essentiel avec Julien : la passion. Plus précisément, la passion pour la musique. Les deux garçons rêvaient de devenir chanteur.

Dans ce cas, pourquoi l’un a réussi et l’autre pas ?

Puisque c’est l’industrie de la musique, on pourrait avancer des tas d’explications. Le talent, le public, la chance…

Mais il semblerait que, de manière générale, “suivre sa passion” ne soit pas une garantie de réussite.

Alors pourquoi ce conseil est-il partout ? Qu’y a-t-il de si séduisant - et pourtant complètement faux - dans la promesse que nous avons tous une passion à découvrir ? Pourquoi les techniques à la mode pour “trouver sa passion” sont bidon ? Existe-t-il des moyens fiables de trouver une voie professionnelle épanouissante ?

C’est ce que nous allons voir dans cet article.

Ça vient d’où, “trouver sa passion” ?

Trouver sa passion, c’est un luxe.

Comme nous l’a expliqué Maslow avec sa pyramide, si on passe son temps à se demander comment on va bouffer, trouver sa passion est le cadet de nos soucis.

Mais comme vous êtes ici, je vais supposer que vos besoins de base sont couverts et que c’est plutôt le haut de la pyramide qui vous titille : le besoin de s’accomplir. Et comme vous avez sûrement un travail assez prenant, vous vous dites que ça serait rudement bien de faire un truc qui vous plaise vraiment, et même disons-le, un truc qui vous passionne.

Du travail soumission au travail passion

Cette idée du travail-passion nous paraît aller de soi aujourd’hui, mais ça n’a pas toujours été le cas.

La conception du travail n’a cessé d’évoluer à travers l’histoire.

Chez les Grecs, le bonheur ne peut s’accomplir que dans l’oisiveté. Dans l’aristocratie, le fait de travailler est considéré de mauvais ton et le travail est imposé aux inférieurs. Puis, avec l’avènement de la modernité, le travail n’est plus considéré comme une activité avilissante, mais au contraire comme un vecteur d’émancipation. Ainsi, à notre époque, l’élite est une élite travailleuse et laborieuse. La dernière mode chez les jeunes générations, c’est même l’entrepreneuriat, rendu accessible à tous grâce à Internet.

Le gourou des nouveaux entrepreneurs du web, c’est Tim Ferriss, qui a proposé dans son best-seller “La semaine de 4 heures” de s’affranchir des collègues et des horaires de bureau, et de “hacker” le travail en créant son propre business en ligne tout en réduisant le temps qu’on y consacre à grand renfort d’automatisation et de sous-traitance. On peut ainsi consacrer plus de temps à ce qu’on aime vraiment faire, à ses passions. Pauvre Tim. Son message a rencontré tellement de succès qu’il est la dernière personne à pouvoir appliquer ses propres conseils (d’après Scott Dinsmore, il travaillerait au moins 60 heures par semaine).

Mais plus proche de nous, sur YouTube, on trouve plusieurs exemples d’ex-anonymes enthousiastes qui ont transformé leur passion en cash machine, parfois depuis leur chambre à coucher. C’est l’adolescente un peu mal dans sa peau qui se met à publier des tutos beauté, et bim, l’audience est au rendez-vous, et avec elle les sponsors, les émissions télé, un contrat d’édition… Y a aussi le clown culturiste qui fait des vidéos pour vous apprendre à devenir “énorme et sec” et qui se retrouve quelques années plus tard à la tête d’un juteux business de produits dérivés.

De loin, ça fait envie. Ça a l’air facile.

De l’amour raison à l’amour passion

Il n’y a pas que la conception du travail qui a changé. Celle de l’amour aussi.

Historiquement, le mariage était un contrat destiné à tisser des alliances entre familles et à assurer la transmission des biens. Vers la fin du XIXème siècle, le mariage d’amour entre dans les moeurs. Dans les années 1950, l’épanouissement sexuel vient s’ajouter à l’amour.

Et aujourd’hui ?

On ne veut plus d’un simple compagnon de route gentil et sincère. On veut de la passion à tous les étages, de la romcom made in Hollywood. On veut un(e) amant(e) hors pair, un(e) meilleur(e) ami(e), un(e) confident(e)… et tout ça dans une personne qui incarne nos critères physiques idéaux bien sûr.

Attention, à la moindre faille, c’est le swipe à gauche.

La glorification de la valeur “passion”

Il faut donc être passionné dans tous les domaines.

Et au cas où on l’oublierait, les célébrités sont là pour nous le rappeler.

C’est Steve Jobs, qui dit dans le discours de remise des diplômes de Stanford que pour réussir, il faut trouver un travail qui nous fait vibrer autant qu’une relation amoureuse.

C’est Lady Gaga, qui conseille à ses little monsters de “suivre leurs rêves” dans une interview.

Et je ne vous parle pas des médias qui raffolent des histoires de monsieur tout-le-monde qui a changé sa vie grâce à sa passion.

Par exemple le gamin qui a grandi dans une banlieue défavorisée et qui est devenu joueur de football professionnel grâce à sa passion pour le ballon rond. Ou le commercial lassé de son bullshit job qui arrive en finale de Top Chef, propulsé par sa passion pour les fourneaux.

La passion-pression est partout.

Au point que les non-passionnés finissent par culpabiliser : “Je n’ai pas de passion, c’est grave docteur ?”

Sauf que tout ça, c’est bidon.

Trouver sa passion, c’est bidon !

L’Ikigaï me rend gagaï

Vous cherchez votre passion ? Les experts du développement personnel peuvent vous aider.

Un petit tour sur Google et on trouve des dizaines de conseils :

  • Demandez-vous quel est votre “talent naturel” : Qu’adoriez-vous faire quand vous étiez gamin ? Quelle activité vous fait perdre la notion du temps qui passe ? Pour quoi êtes-vous reconnu par les autres ?…
  • Demandez-vous quel est le métier que vous exerceriez gratuitement.
  • Et bien sûr, vous pouvez vous tourner vers la star du moment, la méthode Ikigaï, qui vous promet de trouver votre raison d’être (votre “Ikigaï”) à l’intersection de ce que vous aimez, ce pour quoi vous êtes doué, ce dont le monde a besoin, et ce pour quoi vous pouvez être payé.

Et alors ? Qui ça gêne que vous passiez vos samedis après-midi à remplir des schémas Ikigaï ?

Personne.

Mais vous connaissez beaucoup de gens qui ont identifié leur passion après avoir rempli un Ikigaï ?

Et surtout, vous voyez le problème avec tous ces conseils ?

Ils sont tournés vers l’intérieur.

Votre passion existe, mais elle est bien cachée, quelque part en vous. Et c’est en vous posant les bonnes questions, en faisant les bons exercices que vous pourrez la découvrir.

Comme tous ces exercices peuvent se faire sans sortir de chez soi, ça entretient l’idée qu’on va découvrir sa passion depuis le confort de son canapé. Comme nous le verrons dans la suite de l’article, c’est précisément l’opposé qui est vrai. Les passions se découvrent, ou plutôt, se développent, en partant explorer le monde, en testant des choses dans la vie réelle…

De plus, ces exercices encouragent la procrastination. “Ce n’est pas de ma faute si je ne fais rien de ma vie, j’attends simplement d’avoir enfin trouvé ma grande passion.” C’est tellement pratique : tout le temps que vous passez à chercher à votre passion est autant de temps que vous ne passez pas à tester des choses, à expérimenter. C’est plus confortable de créer une mind map que de se bouger les fesses. Sur la mind map au moins, on ne risque pas de se planter.

Je ne dis pas que les questionnements introspectifs et les exercices sont à jeter. Mais il faut juste les voir comme un point de départ, comme un moyen de trouver le premier fil sur lequel on va tirer pour dérouler la pelote.

L’archéologue et l’architecte

Le problème est en fait dans la manière dont la question est abordée.

Pour bien comprendre, demandons un coup de main à nos amis l’archéologue et l’architecte.

L’archéologue pense que sa passion existe mais qu’elle est cachée quelque part. Il doit donc partir à sa recherche, souvent à l’intérieur de lui-même, dans l’espoir de la découvrir.

L’architecte, lui, pense qu’une passion se développe. C’est quelque chose qu’on construit, en travaillant dessus régulièrement et délibérément. On ne sait pas à l’avance la forme finale que prendra le résultat.

La plupart des techniques pour trouver sa passion s’inscrivent dans l’approche “archéologue”, ce qui pose deux problèmes fondamentaux :

1. Ça entretient une vision binaire. Il n’y a que deux états possibles : on a trouvé sa passion ou on ne l’a pas trouvée. Tout le temps qu’on passe “sans passion” est un échec, une frustration. Et le jour où on pense avoir trouvé sa passion, il faut l’embrasser à 100%, il faut en faire quelque chose de grand. La pression est maximale.

2. Ça entretient une mentalité fixe. Une étude de l’université de Stanford a fait un lien entre “trouver sa passion” et les “mentalités” présentées dans les travaux de Carol Dweck (mentalité fixe et mentalité de croissance, ou fixed and growth mindset).

  • Les gens avec une mentalité fixe sont passifs et attendent que leur passion leur soit révélée. Une fois révélée, elle doit leur apporter toute la motivation nécessaire, et s’ils rencontrent trop de difficultés, c’est qu’ils n’ont pas trouvé la bonne passion.
  • Les gens avec une mentalité de croissance sont prêts à “développer” leur passion. Ils voient ça comme un cheminement qui comporte des défis, des échecs et des apprentissages. Ils sont d’ailleurs plus orientés “processus” que “résultat”, et sont prêts à fournir des efforts même s’ils ne “trouvent” rien. C’est le parcours qui les intéresse.

On aboutit donc à une forme de paradoxe : en cherchant absolument à trouver sa passion, on s’inscrit dans une mentalité fixe, et c’est précisément ce qui nous empêchera de trouver cette passion. Les attentes sont trop absolues et trop dépendantes de l’extérieur.

Pourquoi on tombe dans le panneau

Si vous êtes comme moi, vous achetez un énième livre de développement personnel en pensant “Mais qu’est-ce que je fais ? Je n’ai même pas lu les trois précédents… Je devrais plutôt bouger mon boul.”

Ou vous avez entamé la douzième itération de votre mind map “Mon avenir professionnel” en vous persuadant que ça vous permettrait d’y voir plus clair, car vous n’êtes pas bien sûr d’avoir exploré tous les aspects du problème…

On s’est encore fait avoir.

Vous. Moi.

On s’est laissé berner par le mythe de trouver sa passion.

Normal. La passion, c’est un argument diablement séduisant.

On se dit que quand on est passionné, on doit avoir les poils qui se dressent et oublier de faire caca. On doit se sentir pleinement en vie. Le passionné est quelqu’un qui va jusqu’au bout des choses, qui ne voit pas les heures passer au boulot, qui n’a pas de collègue relou ou de problèmes de mises à jour de Windows 10.

C’est beau. C’est fort.

Et puis, la passion est accessible à tous. Scott Adams l’explique très bien dans son livre “How to Fail at Almost Everything and Still Win Big” :

Les gens qui ont réussi veulent que vous pensiez qu’ils ont réussi parce qu’ils sont formidables, mais ils veulent aussi garder un semblant d’humilité. Ce n’est pas très humble de dire “J’ai réussi parce que je suis bien plus intelligent que la moyenne”. En revanche vous pouvez dire que vous avez réussi grâce à votre passion, car tout le monde peut être passionné par quelque chose. La passion a un côté plus accessible. Si vous êtes bête, vous ne pouvez pas y changer grand chose. Mais la passion est une chose que tout le monde peut manifester si les bonnes conditions sont réunies. La passion a un côté très démocratique. C’est le talent du peuple, accessible à tous.

Faut-il renoncer à trouver sa passion ?

Fuck trouver sa passion

Je sens que ça ne va pas vous plaire, mais la solution évidente serait d’arrêter de chercher votre passion.

Screw finding your passion”, comme dit Mark Manson !

Peut-être parce que vous l’avez déjà identifiée votre “passion”.

Peut-être qu’il y a une activité qui vous attire depuis longtemps. Peut-être même que vos proches vous ont déjà dit “Tu as déjà pensé à faire ça ?”. Mais vous avez toujours une bonne excuse : “On ne peut pas gagner sa vie avec ça. Ce n’est pas le bon moment. Je suis trop vieux/vieille. Ça ne marchera jamais.”

Comme le dit Manson :

La plupart des gens ont déjà trouvé leur passion. C’est juste qu’ils l’ignorent. Ils ont la trouille de tenter le coup pour de bon. Ils choisissent de se limiter arbitrairement en se racontant telle ou telle connerie sur le succès ou sur ce qu’ils sont censés faire.

Pour Manson, c’est donc essentiellement un problème de priorités. Si vous êtes irrémédiablement attiré par quelque chose, arrêtez de vous trouver des excuses. Il faut regarder la réalité en face, et accepter de passer à l’action.

Il faut aussi accepter le prix à payer.

Adolescent, je fantasmais sur le fait d’être réalisateur de films. Je voyais la version bubble gum : mon nom au générique, la reconnaissance, l’argent, le prestige de travailler dans le fabuleux milieu du cinéma… Mais ce n’était qu’une partie du tableau. Et les heures passées à écrire un scénario sans être sûr de pouvoir le tourner un jour ? À chercher des financements pour son film ? À convaincre tel ou tel acteur de participer au projet ? Le côté bohème, l’absence de routine, l’incertitude permanente…

Toute décision est un arbitrage. Mais on a vite fait de braquer le projecteur sur ce qu’il y a à gagner, en oubliant ce à quoi on va devoir renoncer.

Peut-être que voulez ouvrir un restaurant et que vous ne serez plus disponible pour vos enfants le week-end. Peut-être qu’une promotion de boulot vous oblige à déménager et que vous allez être déconnecté de votre famille et de vos amis.

Quand vous prenez une décision, soyez ultra clair sur ce que vous abandonnez.

Soyez prêt à payer le prix.

Ceci étant dit, qui a dit qu’on devait forcément être passionné par son travail ? Tous les boulots sont pénibles par moment. Le problème, ce sont vos attentes. Peut-être que vous avez lu un livre de startupper ou que vous suivez un YouTubeur qui a explosé, et vous vous dites “moi aussi j’en veux” ?

C’est dur de ne pas jalouser la vie des autres. Personnellement, j’ai du mal à y échapper. Notre société hyperconnectée nous rappelle en permanence qu’on est le “raté” de quelqu’un. Il y a toujours une fête plus ambiancée à laquelle on aurait pu aller, un pays plus dépaysant qu’on aurait pu visiter, et bien sûr, un métier plus passionnant qu’on aurait pu faire.

Le hic, c’est qu’on peut parfaitement rater sa vie à chercher une passion qui n’existe pas. Ou pire, à chercher la passion de quelqu’un d’autre.

C’est parfaitement acceptable de se foutre de trouver sa passion et de s’épanouir dans une vie simple.

Cultivez vos compétences plutôt que votre passion

Il est temps que je vous dise la vérité.

Il n’y a pas UNE passion unique qui vous est réservée, qui serait cachée quelque part dans l’univers et que vous pourriez découvrir.

Dans ce cas, comment ont fait les gens qui sont passionnés par leur métier ? Comment en sont-ils arrivés là ? C’est ce que Cal Newport tente de comprendre dans son livre “So Good They Can’t Ignore You”.

Contrairement à une idée reçue, le fait d’avoir une passion préexistante pour une activité donnée n’est pas un critère d’épanouissement dans un métier lié à cette activité. En effet, une étude de l’université de Yale montre que c’est plutôt quand on peut exercer de la créativité, du contrôle, et avoir un impact qu’on s’épanouit dans son travail.

Mais ces caractéristiques - la créativité, le contrôle et l’impact - sont rares et prisées.

Il faut donc développer des compétences qui sont également rares et prisées, afin de pouvoir les “échanger” contre un travail avec ces caractéristiques.

Comment développer ces compétences ?

Newport propose trois stratégies :

1. La mentalité de l’artisan. L’artisan se demande “Comment puis-je m’améliorer et quelle valeur unique puis-je apporter au monde ? Ai-je la volonté de persévérer dans une voie même si le chemin est long et fastidieux ?” Cette mentalité oblige à abandonner les questions du type “Est-ce que ce boulot est fait pour moi ?” ou “Suis-je passionné par ce que je fais ?”. À la place, il faut travailler dur, apprendre à aimer le processus lui-même, et devenir très bon dans ce qu’on fait, même s’il on n’a pas de passion préexistante.

Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on est passionné qu’on travaille dur. C’est en travaillant dur qu’on développe une passion.

2. Les projets stimulants. Identifiez les compétences que vous n’avez pas encore mais qui sont très demandées dans votre secteur. Ensuite, portez-vous volontaire pour des projets professionnels qui vous permettront de développer ces compétences. Ou lancez-vous vos propres défis personnels qui utilisent ces compétences.

3. La pratique délibérée. Vous pouvez aussi utiliser la “pratique délibérée” pour développer une compétence précise. Cela consiste à pratiquer une compétence sous forme de périodes d’attention ininterrompue. Poussez-vous à la limite de vos capacités, en alternant entre zone de confort et d’inconfort. Demandez des retours fréquents sur votre travail et cherchez à vous faire accompagner par un mentor.

Newport pense donc qu’on ne trouve pas sa passion, mais qu’on la cultive. Il conclut en disant que ça n’a pas de sens de dire “Je ne connais pas ma passion”. Ça a plus de sens de dire, “Je n’ai pas encore cultivé de passion. C’est en me concentrant sur quelques tâches dans lesquelles je vais essayer de devenir très bon que je peux démarrer ce processus.”

Approchez votre travail comme un “designer”

Burnett et Evans proposent également une approche tournée vers la pratique dans leur livre “Designing Your Life”.

D’après eux, beaucoup de personnes utilisent le mode “ingénieur” pour trouver le métier de leurs rêves : ils font l’inventaire des options envisagées, collectent le maximum d’infos sur chacune, et essaient ensuite de déterminer la meilleure. Comme lorsqu’un ingénieur construit un pont, ils tentent d’appliquer une méthode rationnelle et scientifique.

En réalité, disent les auteurs, il faudrait plutôt se comporter comme un designer. Dans leur définition, un designer est une personne qui conçoit de nouveaux objets. Il a une idée du résultat à atteindre, mais il ne sait pas comment y arriver ni la forme exacte qu’aura l’objet final. Les auteurs citent l’exemple du premier ordinateur portable avec souris intégrée. Comment concevoir un tel objet alors qu’on n’a aucun modèle dont s’inspirer ou mode d’emploi à suivre ?

Dans ce genre de situation, la solution est de brainstormer, d’expérimenter différentes choses (parfois farfelues), d’improviser… jusqu’à tomber sur quelque chose qui marche. Autrement dit, l’approche designer ne passe pas par des équations ou des tableaux Excel.

Burnett et Evans soutiennent que ce principe s’applique également à notre orientation professionnelle : impossible de concevoir un plan qui serait censé nous mener sans faille à un métier épanouissant. La seule manière de trouver un travail qui nous plaise vraiment, c’est via l’expérimentation et les ajustements permanents.

Ils rappellent aussi de ne pas souscrire à la croyance erronée qu’on a une vocation unique, une seule passion qu’on devrait suivre, et que si on passe à côté on finira malheureux pour le restant de nos jours. D’après eux, on a tous plusieurs voies professionnelles satisfaisantes qu’on pourrait emprunter.

Mais par où commencer ? Comment identifier le secteur dans lequel commencer ces expériences en “design de carrière” ?

Les auteurs recommandent une approche en deux temps.

Commencez par explorer trois scénarios de vies satisfaisantes que vous pourriez mener :

  • Votre vie optimisée. Imaginez que vous remaniez votre travail actuel pour faire plus de ce qui vous plaît et moins de ce qui vous pèse. Pour identifier ce qui vous plaît le plus, notez pendant 3 semaines d’affilé les moments de la journée où vous vous sentez totalement absorbé par votre travail. (Que faisiez-vous ? Avez qui ? Quelle heure était-il ? Où étiez-vous ?…) Quel est le fil conducteur entre toutes ces activités ? Quel changement pourriez-vous mettre en place pour faire davantage d’activités qui vous plaisent dans votre travail actuel ?
  • Votre vie alternative. Votre job actuel a disparu. Il est maintenant réalisé par des robots, ou bien le marché s’est effondré… Que faites-vous ?
  • Votre vie fantasmée. Si l’argent et le regard des autres n’étaient pas un problème pour vous, que feriez-vous de votre temps ?

Vous avez identifié un scénario qui vous tente plus que les autres ?

Vous avez envie de foncer tête baissée ?

Stop, malheureux ! C’est justement l’erreur à ne pas commettre.

Ce qu’il faut faire maintenant, c’est avoir des conversations prototypes, c’est à dire des conversations avec des personnes qui mènent déjà la vie que vous aimeriez avoir. Vous trouverez ces personnes dans votre entourage ou sur les réseaux sociaux. Demandez-leur de vous raconter leur parcours et les étapes qui les ont menées à leur travail actuel ; de quoi est fait leur quotidien aujourd’hui ?

Ces conversations vous donneront un aperçu de la vie de ces personnes. Et cet aperçu vous permettra de valider (ou pas) si les scénarios envisagés à l’étape précédente vous conviennent.

Dans le livre, on suit l’exemple d’Elise, qui a ouvert un restaurant italien (avec succès) avant de finalement se rendre compte qu’elle détestait les tâches quotidiennes associées à cette activité (gérer les stocks, le personnel…). Elle aurait pu éviter cette erreur en discutant avec des propriétaires de restaurants avant de se lancer. En parlant avec trois propriétaires satisfaits et trois propriétaires mécontents, Elise se serait rendu compte que ce travail n’était pas fait pour elle.

Embrassez toutes vos passions

Je voudrais terminer en évoquant un point avec lequel je me suis longtemps débattu, surtout quand j’ai dû choisir des études après mon bac.

Peut-être que comme moi, vous n’avez pas une passion, mais plusieurs. Et c’est ce côté touche-à-tout qui vous empêche d’y voir clair.

Pâtisserie, réalisation de petits films au caméscope, écriture, création de musique assistée par ordinateur, retouche photo, développement web, entrepreneuriat, musculation, langues étrangères, développement personnel… J’ai toujours eu plein de passions et plusieurs d’entre elles auraient pu devenir un métier.

Dans ce cas, laquelle choisir ?

Surtout quand ces passions vont et viennent au gré des envies. Un jour, je suis complètement absorbé par l’écriture et je veux me lancer dans mon premier roman. Quelques semaines plus tard, je suis obsédé par les idiomes américains et je veux devenir prof d’anglais. Comment miser mon avenir sur quelque chose d’aussi fluctuant ?

Jusqu’à récemment, j’étais persuadé qu’il y avait UNE activité parmi tous mes centres d’intérêt qui était “faite pour moi” et qui me rendrait “pleinement heureux”. Et j’ai passé un temps fou à rechercher cette “activité Graal”, à coup de livres de développement personnel, de mind maps, de tests de personnalité… En somme, je suis tombé à pieds joints dans le mythe de la passion que je dénonce ici.

Aujourd’hui, je n’y crois plus.

Je dirais même qu’il y a du mérite dans une stratégie opposée. Une stratégie qui consiste à embrasser toutes ses passions.

Laissez-moi vous expliquer.

L’idée, c’est de rechercher le fil rouge à travers tous vos centres d’intérêt. Y a-t-il quelque chose de constant dans la manière dont vous approchez toutes ces activités ou dans les activités elles-mêmes ? Dans mon cas, c’est l’envie d’apprendre et de comprendre. Il n’y a rien qui m’excite plus que de m’attaquer à un nouveau sujet, de faire des recherches dessus, de me former, et de décortiquer son fonctionnement.

Peut-être que votre fil rouge, c’est le contact humain (vous aimez les activités qui vous mettent en contact avec d’autres). Ou la création (vous aimez les activités dites “artistiques”, ou les activités qui vous permettent de créer ou d’exercer votre imagination).

Si vous avez identifié un tel fil rouge, demandez-vous s’il pourrait vous permettre de passer en mode créateur. Tant qu’on s’intéresse à une activité, on est juste consommateur, mais pouvez-vous créer et partager quelque chose autour de cette activité ? Si vous avez créé de la musique, pouvez-vous la publier sur YouTube ? Si vous apprenez une langue étrangère, pouvez-vous écrire un billet de blog sur les techniques les plus efficaces que vous avez identifiées ?

Dans l’article The Multipotentialite Solution, Niklas Göke explique que la création elle-même peut être un excellent fil conducteur : “Les passions vont et viennent. Plutôt que de rester fidèle à une passion, restez fidèle à l’acte de création. Documentez votre processus, votre voyage.”

C’est exactement ce que je fais avec le blog que vous êtes en train de lire : je passe de simple consommateur à créateur, et ce faisant, j’explore une nouvelle activité professionnelle potentielle.

Une autre approche intéressante pour les multi-passionnés est de réfléchir à combiner ses passions. Ok, vous n’avez pas UNE grande passion qui sort du lot, mais peut-être qu’une voie épanouissante pour vous se trouve à l’intersection de deux (ou plusieurs) de vos passions. Scott Adams, le créateur de Dilbert, a toujours attribué son succès au fait de savoir dessiner ET d’avoir bien connu le monde de l’entreprise et ses petites absurdités. Il admet ne pas faire partie des meilleurs dessinateurs, mais son parcours lui a permis de développer un point de vue unique qui l’a conduit au succès.

Plutôt que de vous brider artificiellement et de devenir expert sur UN sujet comme on l’entend souvent, suivez le conseil de Tim Ferriss : soyez trop complexe pour rentrer dans une case. (“Be too complex to categorize.”)

Conclusion

En conclusion, vous aurez compris que le principal problème avec “trouver sa passion”, ce n’est pas la passion, mais l’idée qu’elle est à trouver.

Il ne s’agit pas de découvrir sa passion, mais de la développer, de la cultiver.

Le point de départ peut être votre travail actuel ou un simple centre d’intérêt, et le chemin consiste à développer des compétences rares et valorisées tel un artisan, à concevoir des expériences qui vous permettent de tester un métier sans vous mouiller, par exemple en ayant des “conversations prototypes” avec des gens qui exercent déjà ce métier.

Plutôt que de chercher à tout prix à “faire ce que vous aimez”, essayez d’ “aimer ce que vous faites”. C’est peut-être de cette manière que vous finirez par développer une passion pour votre activité.

Et si vous vous surprenez à fantasmer sur un soi-disant métier de rêve ou à vous raconter des foutaises qui obscurcissent votre jugement et vous empêchent de passer à l’action, rappelez-vous le conseil de Paul Graham :

“Toujours produire” est une bonne méthode pour découvrir un travail qui vous passionne. Si vous vous soumettez à cette contrainte, elle va vous éloigner des choses sur lesquelles vous pensez devoir travailler pour vous mener vers les choses que vous aimez réellement. “Toujours produire” vous permettra de trouver votre voie aussi sûrement que l’eau, aidée par la gravité, finit par trouver le trou dans votre toiture.”

Continuez à créer. Tout le temps.

C’est en restant en mouvement que votre chemin se dessinera. Progressivement.

Et si vous remplissez un Ikigaï de plus après avoir lu cet article, je vous en voudrais beaucoup. 😉


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