J’étais accro au développement personnel

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Ce soir-là, la salle municipale était bien remplie.

Je pensais être en retard mais ils n’avaient pas encore commencé. Je trouve une chaise vers le fond et je m’installe discrètement. Je n’assume pas encore complètement d’être là. Le modérateur se dirige vers l’avant de la salle révélant un t-shirt “Tony Robbins rules”. Le silence se fait. Il dit quelques mots d’introduction, rappelle les règles de fonctionnement, puis demande si quelqu’un veut prendre la parole.

Un ange passe.

Me surprenant moi-même, je me lève et j’articule timidement :

“Bonsoir, je m’appelle Vincent et je suis accro au développement personnel.”

Comment je suis tombé dedans

Cette petite scène fictive aurait très bien pu avoir lieu. Il y a quelques années en tout cas.

Aujourd’hui, il y a toujours des dizaines de livres de développement personnel qui recouvrent mes étagères. Mais mon regard a changé. Je sais qu’ils ne renferment pas une recette magique qui m’apportera amour, gloire et beauté. Peut-être qu’un jour je les brûlerai dans un grand feu de joie. Les flammes emporteraient les rêves naïfs dont j’ai fait le deuil.

J’ai du mal à me rappeler de mon premier livre de développement personnel.

Mon historique Amazon m’indique que j’ai acheté en 2005 “Guérir le stress, l’anxiété et la dépression sans médicaments ni psychanalyse”, de David Servan-Schreiber, en même temps que l’intégrale de la série “Six Feet Under”. Je l’avais oublié. Se pouvait-il qu’en pleine vingtaine je me sente déjà menacé par le stress et la dépression ? Était-il bien judicieux d’inclure l’intégrale de “Six Feet Under”, une série plutôt sombre, dans la même commande ? C’est loin tout ça.

En réalité, j’ai acheté mes premiers livres de développement personnel à l’époque où les livres s’achetaient encore dans des librairies, dans les années 1990. Lycéen, je me posais beaucoup de questions sur mon orientation, et par extension sur ce que je voulais faire de ma vie. Je devais voir dans cette littérature un moyen d’y voir plus clair, d’obtenir des réponses, et peut-être de devenir une “meilleure version” de cet être qui déjà devait me paraître imparfait. Mais par quel livre ai-je bien pu commencer ? Peut-être était-ce “Les quatre accords toltèques” ou “Maigrir, c’est dans la tête”, deux best-sellers de l’année 1997.

Ce n’est pas surprenant que je ne m’en souvienne pas : j’ai toujours acheté beaucoup de livres de “non fiction”. D’abord, pendant mes quelques années de fac d’anglais. Le site Amazon - alors dans sa version américaine uniquement - me donnait un accès facile à la liste des manuels scolaires et des classiques de la littérature anglo-saxonne dont j’avais besoin pour mes études. Puis, quand j’ai découvert Internet quelques années plus tard, c’est grâce aux livres d’informatiques que je me suis formé à la création de sites web.

Dans ma vision du monde, il n’y avait donc qu’un petit trait à tirer : si je pouvais utiliser les livres pour apprendre la grammaire anglaise et le code HTML, pourquoi ne pas m’en servir pour y voir plus clair sur le sens de ma vie et réaliser mon potentiel (que je supposais énorme) ?

Les années sombres de l’addiction totale

Le temps a passé sans que je m’en rende compte, et je me suis retrouvé avec au compteur une trentaine d’années et quelques petites épreuves de vie : déception amoureuse, petits challenges professionnels, frustrations personnelles…

Plus que jamais, le développement personnel était présent dans ma vie. Prise de muscle, explosion des croyances limitantes, épanouissement des relations interpersonnelles, apprentissage des langues étrangères, création d’entreprise… Il n’y avait pas de challenge qui n’avait pas sa solution dans les étagères colorées du rayon “mieux vivre”.

Pas contraint par mon pouvoir d’achat, je succombais à une offre grandissante. Plus, plus, plus, il me fallait toujours plus de livres. À peine déballés de leur carton, ces livres atterrissaient sur mon étagère ou ma table de chevet, vaguement feuilletés, jamais terminés. J’étais déjà occupé à rechercher dans les allées virtuelles d’une librairie en ligne ma prochaine dose, mon prochain “high” qui, cette fois-ci c’est sûr, aller changer ma vie.

Quand exceptionnellement je lisais un livre jusqu’au bout, je prenais rarement le temps de le digérer. J’aurais pu me faire une petite fiche de lecture. Prendre un temps de réflexion pour me demander comment concrètement j’allais utiliser ce que j’avais appris. Ou même, relire le même livre une deuxième fois pour être sûr de le comprendre vraiment. Mais non, pas le temps. J’étais déjà sur mon prochain achat.

Oh, je n’étais pas malheureux, loin de là. C’est plutôt qu’il y avait quelques points que je souhaitais améliorer dans ma vie, et que je voyais dans ces livres un moyen pratique et pas trop coûteux d’y arriver. Bon, c’est vrai que j’achetais plus de livres que je ne pouvais en lire. Mais un jour, c’est sûr, je prendrai le temps de bien tous les lire. Et ce jour-là, je serai heu-reux.

Le sevrage

Une autre dizaine d’années a passé.

Ce n’est pas comme si j’avais eu une soudaine prise de conscience.

Disons que j’ai eu quarante ans, et comme ça arrive parfois, y compris à des gens très bien, j’ai fait un petit bilan.

  • Pourquoi n’ai-je pas ce sentiment de plénitude et d’accomplissement de moi-même ?
  • Où sont les pelletées d’amis avec qui je connecte à coup de discussions ultra profondes ?
  • Quid de mon entreprise florissante qui a dépassé le million de chiffre d’affaire ?
  • Comment se fait-il que je ne parle pas encore 5 langues étrangères ?
  • Et mes abdos en béton ?!!

Attendez une seconde…

On m’aurait menti ?…

Se pourrait-il que cette histoire de développement personnel, ça soit du chiqué ??

Oh, je vous entends d’ici : “Le problème, c’est toi ! Tu n’avais qu’à appliquer les judicieux conseils de tous ces livres que tu as lus, et tu serais parvenu à changer ta vie.”

Bien-sûr que c’est moi le problème…

Moi ET mes livres.

J’étais accro. Un vrai self-help junkie.

Mais ce que j’ai mis du temps à identifier, c’est que la soi-disant solution à mon problème en était aussi la cause. En d’autres mots, lire des livres sur l’amélioration de soi était le meilleur moyen de ne pas m’améliorer… tout en ayant l’illusion d’avancer.

Tordu, non ?

Je ne dis pas que les livres de développement personnel ne servent à rien. Je suis persuadé qu’ils peuvent être de formidables compagnons sur le chemin de l’amélioration de soi. Mais ils ne peuvent pas se substituer à notre travail personnel.

Or, tout le temps que j’ai passé à lire ces livres, je ne l’ai pas passé à agir. Acheter des livres en espérant y trouver des solutions à ses problèmes entretient l’idée que les réponses existent déjà, quelque part à l’extérieur de nous, et qu’elles vont nous être “révélées”. Je pense aujourd’hui que les réponses sont à construire et qu’elles sont propres à chaque individu (c’est le “personnel” dans “développement personnel”). Peut-être même qu’on n’a pas tant de problèmes que ça, mais que ces livres nous le font croire pour qu’on les achète.

En somme, ma plus grosse erreur a été de confondre la lecture de livres de développement personnel avec un vrai travail d’amélioration de soi. Exactement comme certains regardent des séries en V.O. en se racontant qu’ils apprennent une langue étrangère. Bien sûr, vous aurez la musique de la langue dans la tête, vous apprendrez quelques nouveaux mots ici et là, mais vous ne deviendrez jamais bilingue de cette manière. Lire des livres de développement personnel, c’est pareil : ça donne le sentiment de s’améliorer, mais au fond on ne change pas vraiment. C’est juste un loisir.

La rédemption

Aujourd’hui, je ne crois plus à toute cette littérature de l’amélioration de soi. Je pense qu’il existe une minorité de livres précieux qui nous offrent des prises de conscience et des nouvelles perspectives, mais qu’ils sont noyés dans un océan de livres commerciaux, dont le contenu est juste du remplissage sur le dernier phénomène à la mode, de la pommade pour le lecteur, ou pire, une sombre arnaque.

Aujourd’hui, je crois à l’action, à la méthode empirique.

On teste des choses. On voit si ça marche. Et on ajuste en fonction.

Ce site est ma manière de passer à l’action.

J’écris pour être producteur, et non plus simple consommateur.

J’écris pour comprendre ce qui marche pour moi. Et ça sera forcément un peu différent de ce qui marche pour vous.

J’écris pour connecter avec vous, chers lecteurs. Peut-être que mon expérience trouvera un écho dans la vôtre. Peut-être que vous trouverez ici une ou deux idées qui vous fileront un petit coup de pouce.

J’écris, donc j’avance.


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